L’année dernière dans le blog Science Etonnante, une explication élégante de l’origine du boson de Higgs a été tentée dans ce billet. Nous avons donc décidé de le reposter ici avec de nouvelles illustrations.
Le boson de Higgs a semble-t-il été trouvé. Je me suis donc dit qu’il était temps que je me lance un défi : essayer d’expliquer en termes simples de quoi il s’agit. Découvrir le boson de Higgs (ou infirmer son existence) est en effet l’objectif principal du LHC, le dernier grand collisionneur construit au CERN.
Extrait des tribulations intestines des accélérateurs du LHC. ©Lison Bernet
Puisque les citoyens ont tous contribué à la construction de cette fabuleuse machine, tout le monde a le droit d’essayer de comprendre ce qu’on y cherche. Et pour cela, nous allons nous pencher sur les pulsions unificatrices des physiciens théoriciens.
Les 4 forces fondamentales
Vous le savez certainement, l’ensemble des phénomènes physiques connus peuvent s’expliquer à partir de seulement 4 forces dites “fondamentales”. Deux de ces forces nous sont assez familières : la force électromagnétique et la force de gravité; les deux autres agissent seulement au niveau subatomique : la force nucléaire « forte », responsable de la cohésion des noyaux atomiques, et la force nucléaire « faible », qui intervient dans les processus de fission nucléaire.
Comme les physiciens théoriciens sont un peu maniaques, pour eux 4 forces c’est beaucoup trop. Et pour en réduire le nombre, on essaye de les réunir, on dit aussi “les unifier”. Pour les théoriciens, unifier les phénomènes permet d’en expliquer les points communs, de réduire le nombre d’hypothèses des théories et apporte en général un éclairage nouveau.
A la poursuite de l’unification
Un très bon exemple d’unification réussie, c’est l’électromagnétisme. Avant le travail dû à J. C. Maxwell au XIXème siècle, nous avions le champ électrique et le champ magnétique, qui semblaient deux phénomènes indépendants. Puis Maxwell a compris qu’ils n’étaient que deux manifestations différentes d’un même objet : le champ électromagnétique, lequel est également responsable de la lumière. Unifier l’électricité, le magnétisme et la lumière, c’est quand même balèze !
Alors dans les années 40 et 50, les théoriciens ont voulu essayer d’aller plus loin. Et un bon programme c’était d’essayer d’unifier l’électromagnétisme et la force nucléaire faible en une seule théorie. Le mélange des deux s’appellerait « la théorie électrofaible ». Mais construire la théorie électrofaible unifiée, ça n’est pas si simple ! Et pour comprendre d’où vient la difficulté, il faut s’intéresser aux différentes particules qui constituent notre univers.
Le bestiaire des particules élémentaires
On connait actuellement 36 particules, considérées (pour l’instant) comme « élémentaires ». Ces particules se divisent en deux grandes catégories : les fermions et les bosons.
Les fermions, ce sont toutes les particules qui permettent de constituer la matière. Par exemple les électrons, mais aussi les quarks, qui s’assemblent pour former les protons et les neutrons.
Les bosons eux ne servent pas à constituer la matière, mais sont les médiateurs des forces. Cela signifie que quand une force s’exerce entre deux particules de matière, cela se fait par l’intermédiaire des bosons. Pour comprendre ce principe, on peut prendre comme d’habitude une analogie mécanique.
Imaginez que vous soyez sur une patinoire avec un ami, immobiles et face-à-face. Supposons que vous teniez une boule de bowling et que vous la lanciez en l’air à votre ami. Quand la boule quitte vos bras, vous êtes propulsé en arrière, par effet de recul.
Mais quand la boule atterrit dans les bras de votre partenaire, lui aussi se trouve mis en mouvement. Donc après ce lancer, votre ami et vous, vous vous éloignez l’un de l’autre : tout se passe comme si la boule de bowling avait été le médiateur d’une force répulsive entre vous deux.
Avec les 4 forces fondamentales, c’est pareil : les bosons sont comme des boules de bowling, et servent de messagers des forces. Chacune des 4 forces fondamentales possède ses bosons attitrés. Pour la force électromagnétique, c’est tout simplement le photon. Pour la force nucléaire forte, ce sont les 8 particules appelées gluons (pour ceux de ma génération, souvenez vous de « Téléchat »). Pour la force faible, on les appelle les bosons W. Pour la gravité, on ne les a jamais mis en évidence, mais on les appelle hypothétiquement les gravitons. Et si je vous parle de ça, c’est que pour fabriquer notre théorie électrofaible unifiée, ça va coincer au niveau des bosons.
Le problème de la masse des bosons
Revenons à notre ambitieux objectif : unifier l’électromagnétisme et l’interaction faible. Pour faire ça, on va profiter d’un petit miracle : en modifiant légèrement le formalisme mathématique qui fonctionne très bien pour l’électromagnétisme, on arrive à y mettre dedans l’interaction faible. En termes savants, on appelle ce formalisme les théories de jauge : on savait décrire l’électromagnétisme par une théorie de jauge, et on se rend compte qu’avec la force faible, une théorie de jauge marche très bien aussi. Alors, gagnée l’unification ?
En fait il y a un hic. Une théorie de jauge nous donne forcément un boson médiateur de masse nulle. Pour l’électromagnétisme, aucun problème, au contraire, puisque son boson médiateur (le photon) est justement de masse nulle. Mais pour la force nucléaire faible, pas de chance, on sait que les bosons W ne sont pas de masse nulle. Leur masse est environ 100 fois plus importante que celle du proton. Donc une théorie de jauge, ça n’a pas l’air d’être une bonne idée pour décrire la force faible !
Et pourtant, le physicien théoricien est obstiné, il tient à son unification. Alors les savants ont cherché un moyen de sauver leur théorie électrofaible unificatrice, en donnant « artificiellement » de la masse aux bosons W. Et c’est comme ça qu’ils ont inventé le mécanisme de Higgs. Mais avant de voir de quoi qu’il s’agit, je voudrais dire un mot du bien-fondé de cet acharnement unificateur.
Les succès de l’unification électrofaible
Nous venons de le voir, à première vue l’unification de l’électromagnétisme avec la force faible, ça ne marche pas. Cela conduit à un boson W de masse nulle, alors qu’on sait que ça n’est pas le cas ! Peut-être aurait-il été raisonnable de laisser tomber l’idée, plutôt que de s’acharner avec un truc artificiel permettant de sauver notre belle théorie. Inventer quelque chose juste pour sauver une théorie, ça rappelle un peu ce que j’évoquais dans ce billet sur le nombre de dimensions en théorie des cordes.
Et pourtant, dans ce cas précis, l’acharnement unificateur était justifié. En effet l’unification électrofaible prédit quelque chose d’inédit : en plus des bosons W que l’on connaissait déjà, la théorie unifiée affirme qu’il existerait un autre boson médiateur de la force faible, le boson Z. Cette prédiction a été faite par les théoriciens Glashow, Weinberg et Salam en 1968.
Extrait de la pédagogie en physique des particules ©Lison Bernet
Et quelques années plus tard le boson Z a justement été mis en évidence au CERN ! Indirectement en 1973 (grâce à la chambre à bulle géante dite Gargamelle, voir ci-contre) puis directement en mai 1983. Fait exceptionnel, les découvreurs du boson Z ont eu le prix Nobel en 1984, seulement quelques mois après leur découverte. Quant aux 3 théoriciens, ils l’avaient déjà obtenu en 1979. Bref tout ça pour vous convaincre que l’unification, ça peut paraître une marotte de théoricien, mais dans ce cas précis ça marche quand même vachement bien. Cela a permis de découvrir le boson Z dans la théorie avant de le trouver par l’expérience. La classe ultime pour un théoricien.
Donner de la masse avec de la mélasse
Donc pour donner de la masse aux bosons de la force faible, voyons donc ce fameux mécanisme « artificiel », issu d’une idée du physicien écossais Higgs, et qui a permis à Glashow, Weinberg et Salam de construire leur théorie unifiée. Mais tout d’abord, que cherche-t-on ? Il faut se rendre à l’évidence que l’on ne peut pas unifier simplement l’électromagnétisme et la force faible. Puisque l’un a un boson médiateur de masse nulle et pas l’autre, ce sont clairement des forces différentes.
Mais nous allons essayer de faire comme si « avant », elles ne faisaient qu’un. Il s’agit d’une idée forte en physique fondamentale : dans les instants reculés du Big-Bang, à l’époque où l’Univers était très chaud, les forces ne faisaient qu’un, et c’est le refroidissement de l’Univers qui les a fait se dissocier. C’est ce que représente le schéma ci-contre.
Extrait de Orgie d’annihilation originelle. ©Lison Bernet
Nous allons donc avec Higgs chercher un mécanisme qui permette d’avoir des forces totalement unifiées à haute température, mais dissociées à basse température ; cette dissociation se manifestant notamment par le fait que les bosons W et Z doivent acquérir une masse à basse température.
Pour que les bosons W et Z acquièrent de la masse, on va les mettre dans une sorte de mélasse. La masse, c’est quelque chose qui s’oppose au changement dans le mouvement, et pour donner une illusion de masse à une particule, on peut la faire interagir avec un nouveau champ, qui va jouer le rôle de la mélasse.
Le champ de Higgs
En pratique dans la théorie, cette mélasse est fournie par un champ, qu’on appelle le champ de Higgs. Toute la difficulté, c’est de faire en sorte que ce champ crée bien une mélasse à basse température, mais pas à haute température. Or dites vous bien que la mélasse n’est pas l’état naturel d’un champ. Prenez le champ électromagnétique, si vous ne faite rien pour le stimuler ou le créer, il sera nul et ne vous freinera pas. On dit que l’état fondamental du champ électromagnétique est zéro. Mais avec notre champ de Higgs, pour avoir de la mélasse sans rien faire, il nous faut justement un champ dont l’état fondamental soit non-nul. Enfin seulement à basse température, car on ne veut plus de mélasse à haute température.
Comment faire pour avoir un champ avec toutes ces propriétés ? C’est ce que fait la construction de Higgs. L’état fondamental d’un champ, c’est son état de plus faible énergie. Donc il nous faut un champ dont l’état de plus faible énergie n’est pas zéro à basse température. La solution est schématisée sur le graphique ci-contre : qui montre l’énergie du champ de Higgs à haute et basse température.
Nous sommes au bout de notre construction : en introduisant le champ de Higgs avec la bonne forme de l’énergie à haute et basse température, on créé la mélasse qui va en quelque sorte freiner les bosons W et Z, et donc leur donner de la masse !
Précisons en cadeau bonus que l’utilisation du mécanisme de Higgs permet également de donner de la masse aux autres particules, si on le souhaite. Par contre il n’explique pas du tout pourquoi certaines particules ont une masse élevée, et d’autres une masse beaucoup plus faible. C’est l’épineux problème théorique dit de la hiérarchie des masses.
Et le boson de Higgs, il est où ?
Mais, au fait, je n’ai parlé que du champ de Higgs pour l’instant. Il est où le boson ? Et bien comme toujours en mécanique quantique, il y a la dualité onde/corpuscule. De même qu’au champ électromagnétique on peut associer une particule, le photon, au champ de Higgs on peut associer une particule : le boson de Higgs. Donc si le champ de Higgs existe vraiment, le boson doit exister aussi.
Si tout cela est vrai, reste à le découvrir. Un certain nombre de considérations permettent de le cerner : on est capable de dire quelle masse ce boson devrait approximativement avoir, et si la théorie est correcte, le LHC devrait le mettre en évidence. Mais si le boson de Higgs n’est pas trouvé, rien de bien grave. Ça signifie que le mécanisme de Higgs n’était pas le bon. Il faudra en trouver un autre !
Je précise pour les esprits chagrins, que si le boson de Higgs n’est pas trouvé, ça ne signifiera nullement qu’on a gâché notre argent au CERN. Bien au contraire, l’absence du boson de Higgs sera une découverte scientifique bien plus important et riche que sa présence !
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